En guise de deuxième article que je vous propose de lire, pour continuer à faire connaissance, je vous ai repris une réflexion que j’avais couchée sur le papier, il y a de cela deux ans, en réaction à quelques entretiens de recrutement que je menais et qui m’avaient particulièrement déçu, autant dans leur contenu que dans leur forme. Lorsque je relis ces quelques phrases aujourd’hui, je me dis que, alors jeune débutant à l’IFRDP, j’étais certes encore très « timide » (voire même « naïf ») dans mon approche, mais les premières bases d’un de mes thèmes de prédilection – les émotions et les croyances autour de leur refoulement – étaient bel et bien posées…
Réflexions sur le mécanisme de refoulement…
2010 – Extraits
Lors d’un entretien que je menais récemment, je ne fus pas vraiment surpris d’entendre pour la énième fois cette fameuse phrase… Une phrase qui semble être devenue une sorte de 11ème commandement, qui résonne pratiquement comme une vérité établie, une espèce de loi édictée par quelque sage ou autre grand philosophe : « Je suis différent lorsque je suis au bureau, je ne suis pas moi-même, je me suis fait une sorte de carapace qui me protège des autres, c’est pour ça qu’ici on ne me connait pas; en vérité je suis beaucoup plus sensible que je ne veux bien le montrer ». En plus c’est vrai, en parlant avec cette personne, je pouvais presque voir une sorte de k-way qu’elle porterait à même la peau… Mais si ce k-way semblait imperméable aux « choses » de l’intérieur (ou de l’intime), il ne semblait pas l’être aux « choses » de l’extérieur (ou de l’environnement).
Ce n’est pas parce que nous masquons le fait que nous sommes déçus, contents, tristes ou angoissés, que nous ne le sommes pas dans l’intimité de notre chair.
Par quel processus conscient peut-on parvenir à masquer ainsi totalement nos émotions aux autres ? Difficile à dire; mais une chose est sûre, ce n’est pas parce que nous masquons le fait que nous sommes déçus, contents, tristes, angoissés… (etc), que nous ne le sommes pas, dans l’intimité de notre chair. Prétendre le contraire c’est « mentir » son corps… et quelque-part, se déconnecter de soi.
Pourtant, voyez-vous, nombreux sont les gens qui croient véritablement qu’ils « se protègent », comme ils disent tous, derrière un « rempart », une « couche de protection », un « bouclier », une « armure »… Bref une sorte de truc vraiment très solide, infranchissable et inaltérable par rien, qui empêcherai les autres gens de les atteindre, de manière émotionnelle au moins… Un k-way anti-émotions quoi!
Mais ce n’est qu’une illusion. Masquer nos émotions, nos ressentis, notre « grille de lecture » à l’autre, n’empêche pas du tout ce qu’il dit ou fait de nous toucher réellement, que nous le voulions ou non. Lorsqu’on est triste on peut bien retenir ses larmes aux yeux des autres, on n’est pas moins triste (même si c’est ce que l’on voudrait peut-être croire), même en allant jusqu’à consciemment tout faire pour refouler cette tristesse. Il faut dire que nous ne sommes pas des êtres imperméables, indépendants du monde qui nous entoure, nous ne sommes pas en dehors de lui, nous ne sommes pas dans lui, nous sommes lui! Le monde sans nous ne serait pas le monde que nous connaissons mais un autre. Car nous agissons sur le monde comme il agit sur nous. Nous sommes en quelque sorte dans un perpétuel échange. Échange Gazeux par exemple. A chaque fois que nous respirons nous emmagasinons de l’oxygène et produisons du Co2, modifiant ainsi chaque seconde le milieu où nous nous trouvons. Le monde agit sur nous aussi, il n’y a qu’à voir comme nos bronches s’ouvrent au « bon air des montagnes » ou la manière qu’elles ont de se contracter et de nous gêner (toux…) lorsque l’on respire un air vicié ou enfumé. Échange de température aussi, dans un espace glacé la température de notre corps réchauffe l’air ambiant comme celui-ci nous refroidi…
Ainsi, faisant totalement partie de ce monde, étant perméable à lui comme il est perméable à nous, nous ne pouvons pas nous empêcher de sentir, de ressentir… notre corps « est« , malgré tout. Alors, nous autres, les « animaux pensants supérieurs » autoproclamés, comment pourrions-nous vraiment maîtriser la perméabilité de nos sens ?… Peut-être pouvons-nous tenter d’agir sur notre façon de ré-agir, tenter d’interférer sur la ré-action que la sensation provoque en nous. Et encore pas toujours… il n’y a qu’à voir comment sous l’effet du stress, notre conscience relâche l’attention et nos fameuses barrières s’évanouissent… ou comment nous lâchons subitement un objet brûlant que nous venons pourtant d’attraper volontairement.
Nous ne pouvons pas empêcher la sensation elle-même, c’est notre capacité à faire quelque-chose de cette sensation, ou à la taire complètement qui nous donne peut-être l’illusion de contrôler.
Nous ne pouvons pas empêcher la sensation elle-même, c’est notre capacité à faire quelque-chose de cette sensation, ou à la taire complètement qui nous donne peut-être l’illusion de contrôler. Mais alors, si l’on ne peut pas empêcher la sensation, on ne peut pas vraiment se protéger de l’autre lorsque l’on est en contact avec lui. Peut-on faire autre chose que « brouiller » le retour de l’échange que l’on a avec lui? Dans ce cadre, si on ne veut vraiment pas que quelqu’un ou quelque-chose puisse avoir une seule chance de nous blesser ou de nous atteindre, avons-nous d’autre choix que de nous en éloigner (ou fermer toute communication avec lui – ce qui revient exactement au même) momentanément ou définitivement? S’éloigner de l’autre pour s’en protéger donc… finalement on en revient toujours à cette distance grandissante entre les hommes, à ces fossés d’incompréhension creusés par nos peurs, peurs qui ne sont même pas toujours les nôtres…
Et si on arrêtait un peu de « mentir » ou d’essayer de cacher, aux autres comme à nous-mêmes, ce que nous ressentons vraiment, que se passerait-il ? Ne serait-ce pas un formidable moyen de désarmer, d’arrêter d’avoir peur de la souffrance et de la rejeter illusoirement ? Le problème, c’est qu’il faudrait peut-être commencer par s’avouer que l’autre n’est pas forcément responsable de ce que sa présence ou son comportement nous fait ressentir… Ce n’est pas si facile, mais c’est le début du chemin vers la véritable connaissance de soi.∗
Je suis une adepte des images et en lisant ton article je ne peux pas m’empêcher de voir une salle d’attente chez un médecin remplie par tous ces adultes incongruents, chez qui le risque de développer des maladies chroniques ou psychiques -et même plus grave encore- est grand. Pourquoi ne pouvons nous pas simplement accueillir l’autre dans sa diversité, avec ses forces et ses faiblesses. Je suis certaine que nos mixités de genres si on les laissaient s’exprimer pleinement, nous offriraient de voir grandir nos connaissances mutuelles sans sacrifier notre propre identité.